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27-03-2011
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Société
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Interview

«  La foi en la technologie est une aventure insensée  »

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« La foi en la technologie est une aventure insensée »
(Crédit photo : Jana Press - Zuma - Rea)
 
Que révèle Fukushima ? Une telle catastrophe est-elle nécessaire pour que notre société ouvre les yeux sur ses excès ? Questions au sociologue Henri-Pierre Jeudy.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Terra eco : En 2005, vous vous êtes rendu à Tchernobyl pour un séminaire d’études. Les catastrophes n’ont-elles donc aucune vertu pédagogique ?

Henri-Pierre Jeudy : On vit toujours dans une catastrophe possible. De là à en faire un ressort pour autre chose… Je ne partage pas l’idée de ce qu’on appelle le « catastrophisme éclairé », défendu par mon collègue Jean-Pierre Dupuy. Lui voit les catastrophes comme si nous pouvions en faire quelque chose, les instrumentaliser. Je veux bien croire que nous allons imaginer une meilleure technologie ou plus de technologie. La catastrophe suppose que l’on accepte et que l’on puisse prévoir une mise en danger de nos vies supérieure à ce que l’on pourrait tirer de cette technologie. La catastrophe est avant tout un élément fondamental des cultures et des mythologies. Elle défie l’organisation de la protection et de la sécurité par le surgissement d’un effondrement de nos représentations habituelles. Car elle demeure irreprésentable.

Comment expliquer alors, pour reprendre le titre de l’un de vos ouvrages, que les catastrophes soient à la fois craintes et désirées ?

Nous survivons dans une hantise collective de la catastrophe. Et cette hantise permanente est due à l’idéalisation de la gestion des risques à l’échelle mondiale. On ne se rend plus compte que nous sommes entourés d’un discours de précaution. Or, on ne peut pas tout prévoir ni tout maîtriser. Et plus on pense maîtriser les risques, plus on vit dans la hantise de ces catastrophes. C’est un cercle vicieux. A l’inverse, l’idée qu’un Tchernobyl ou qu’un 11 septembre 2001 nous fasse basculer dans une « nouvelle ère » est un désir très humain. Ce rêve d’une métamorphose de notre société est ancien et archaïque. Le problème, c’est que ce « désir de catastrophe » est tabou : comment s’avouer que seule une catastrophe peut engendrer une fiction de métamorphose ? Pire, ce désir est terriblement angoissant. Car on en vient à craindre que la catastrophe prenne une telle ampleur qu’elle en deviendrait incontrôlable.

Il est donc plus rassurant pour l’homme de faire confiance en sa technologie omnipotente…

La foi dans notre technologie est l’aventure catastrophique dans laquelle l’humanité est embarquée. On peut certes en tirer une amélioration des choses, mais profondément, sur un plan idéologique, c’est l’aventure insensée du monde qui est mise en perspective. Après tout, les seules finalités aujourd’hui, ce sont les finalités technologiques et économiques. Ce qui s’est passé au Japon revêt une charge symbolique très forte. Ce pays est le symbole de la sécurité poussée à son paroxysme. Il est devenu – au moins pendant un temps – l’icône de l’ultratechnologie. Pourtant, c’est ce petit archipel qui se trouve menacé, au quotidien et dans son intégralité, par les catastrophes sismiques. Jusqu’à être touché aujourd’hui en son cœur. Le paradoxe me semble intéressant. Il y a dans la mentalité japonaise une représentation fondamentale du destin qui explique cette sagesse communautaire après le désastre.

Que nous dit cette succession de catastrophes au Japon sur notre rapport à la nature ? L’humanité tout entière manque-t-elle d’humilité ?

La nature est toujours en avance par rapport à l’homme, c’est pourquoi je ne crois pas au défi de l’homme qui se croirait supérieur à la nature. En tout cas, le débat est vain. Deux choses me sont restées de ma visite à Tchernobyl. D’abord, le fait que la nature y a repris ses droits. On la voit luxuriante, presque plus forte qu’avant. Et ensuite, cette image de la ville proche de la centrale (Prypiat, ndlr) restée comme pétrifiée. Abandonnée en l’état, comme si elle était encore habitée. Je ne crois donc pas du tout à la domination de l’homme sur la nature. La nature demeure une mesure pour l’homme. Mais à l’idée d’une nature qui faisait le destin de l’homme s’est substitué aujourd’hui l’impératif écologique : « C’est à l’homme de prendre en mains la destinée de la nature. » Or, le développement techno-économique dans lequel nous vivons est une aventure insensée, pleine de charme et d’horreur, qui semble de plus en plus irréversible.

Revenons-en à la question initiale. La catastrophe peut-elle ouvrir des portes vers de nouvelles utopies, ou tout au moins vers plus de sagesse ?

Sans doute, au regard des événements, prend-on conscience de la nécessité d’aller moins vite, de consommer moins d’énergie, moins de nature. On peut toujours croire à la rationalisation – apparente – des rapports sociaux, impulsée par une meilleure compréhension des équations écologiques. Pourquoi pas ? Une catastrophe nous pousse, certes, à une réorganisation du sens, ou à des tentatives pour le réorganiser. Mais l’actualité japonaise a au fond un impact plus archéologique que ces tentatives de réorganisation du sens, somme toute mineures. Pour autant, je ne crois vraiment pas que cela soit le signe annonciateur de plus de sagesse. Le monde est de toute façon insensé. Pourquoi la projection soudaine d’un « autre monde » serait-elle plus sensée ? Plus rassurant, peut-être, si vous voulez. Une catastrophe est toujours en même temps « une catastrophe du sens ».

Quid des nouvelles utopies ? Le fait de gérer ou de conduire une société dans le but principal de protéger les générations futures est d’ailleurs peut-être une utopie…

L’utopie est une disposition de l’esprit. Aujourd’hui, les jeunes gens ne parviennent plus à imaginer le futur. C’est comme si on le traçait à leur place. Notamment par un principe de précaution qui se généralise, qui devient l’ambiance dans laquelle on devrait vivre, comme si nous avions peur de transmettre notre propre peur. A force de prendre des précautions pour nos générations futures, on finit par atrophier l’imagination. On ne peut pas nier les urgences écologiques, mais je le vois avec mes petits-enfants par exemple, ils se passionnent uniquement pour des jeux qui sont des jeux de stratégie ou de catastrophe. Tout leur imaginaire envers le futur est réduit à cette alternative entre la morale normative écologique qu’ils apprennent à l’école et le plaisir de la « prise de risque » pour défier la catastrophe possible. C’est étrange. Dans tous les cas, je ne crois pas que le catastrophisme éclairé permettra l’émergence d’utopies. A chaque catastrophe, l’univers normatif écologique se légitime davantage, mais il devient aussi contraignant, aussi réducteur pour l’imagination que toutes les autres formes de contrôle.

Vous ne croyez donc pas, à la lumière de ce qui se passe au Japon, qu’un monde se referme et qu’un autre s’ouvre ?

Je ne crois pas à ce genre de métaphore. Je pense toutefois qu’une catastrophe, naturelle ou industrielle, produit un effet de miroir sur la société et provoque un sursaut de réflexivité et donc une réinterrogation de nos sociétés et de leur avenir. A l’échelle mondiale, on vit en permanence dans une situation post-catastrophique et anté-catastrophique. Faut-il penser alors que la catastrophe est une figure fondamentale du devenir de l’humanité ? —

Henri-Pierre JEUDY, sociologue et écrivain, a mené des recherches sur les peurs collectives, les paniques et les catastrophes. Il s’intéresse particulièrement aux modes de conservation des sociétés et aux phénomènes d’autodestruction. Son ouvrage Le désir de catastrophe vient d’être réédité en livre de poche aux éditions Circé.

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